Cet extrait est tiré d'un entretien sur le thème "Prévenir l'usure professionnelle avant tout" publié dans le numéro 77 de Retraite et société ; il a été réalisé en octobre 2017 par Nathalie Burnay (professeure à l’université de Namur et à l’université catholique de Louvain) et Patricia Vendramin (professeure à l’université catholique de Louvain) Erfane Chouikha est chargé de mission à l’Aract Grand Est et Marion Gilles est chargée de mission à l'Anact au département "Études, capitalisation & prospective".

Depuis 2008, l’État français développe une politique proactive en matière de fin de carrière dans les entreprises françaises. Pouvez-vous nous expliquer les évolutions de ces politiques et les contextes dans lesquelles ces évolutions ont pris place ?

En France, le soutien aux cessations anticipées d’activité a longtemps constitué le mode de gestion consensuel des restructurations et des réductions d’effectifs dans les entreprises. Sous l’impulsion de la politique communautaire et pour faire face aux évolutions démographiques et aux déséquilibres financiers des régimes de retraites qu’elles induisent, une inflexion s’amorce dans les politiques publiques, à partir des années 1990.

Deux leviers sont alors mobilisés : le durcissement des conditions d’accès aux préretraites et l’allongement de la durée de la vie active. La réforme des retraites de 2003 étend le champ de l’action publique en faveur de l’emploi des seniors. Ce processus se poursuit et s’enracine, depuis 2008, dans une large diversification des modes d’action publique. Tout d’abord, le mouvement de réduction des préretraites publiques perdure jusqu’à la quasi-extinction aujourd’hui de ces dispositifs. Cette volonté est également associée à un dispositif de pénalité pour décourager les préretraites d’entreprise. En parallèle les dispositifs d’indemnisation du chômage évoluent pour être de moins en moins favorables aux chômeurs âgés. L’objectif est d’éviter que le chômage prenne le relais des préretraites publiques.

Du côté des réformes des retraites, c’est essentiellement l’allongement de la durée d’assurance requise pour obtenir une retraite à taux plein qui a été privilégié avec, pour premier objectif, de pallier les difficultés de financement du système de retraite lié au vieillissement démographique et au niveau élevé de chômage. Depuis 2009, ces réformes prévoient également des incitations au prolongement de la vie active : incitations financières pour les individus de plus de 60 ans qui continuent de travailler, possibilités accrues de cumuler pension et revenus d’activité, par exemple.

Que se passe-t-il du côté des réformes ?

Par ailleurs, à partir de 2008, les dispositifs en direction des employeurs prennent de plus en plus d’importance. Par la création de divers outils, un réseau d’incitations est créé pour que les employeurs réajustent leurs arbitrages et ainsi leurs pratiques. Un employeur ne peut plus mettre à la retraite un salarié s’il souhaite poursuivre son activité et ce jusqu’à ce que le salarié atteigne 70 ans.

Pour réduire les inégalités d’accès à la formation avec l’âge et favoriser le maintien en emploi, les dispositifs de formation professionnelle sont modifiés pour créer des dispositifs incitatifs visant l’accès à la formation des plus de 45 ans. Ces dispositifs s’articulent avec des incitations à négocier dans plusieurs domaines : l’emploi des seniors, le contrat de génération, la prévention de la pénibilité, la qualité de vie au travail.

Où en est-on aujourd’hui ?

On observe un glissement des âges effectifs de départ à la retraite : en moyenne c’est désormais à un peu plus de 61 ans que la proportion de retraités est majoritaire. Le taux d’emploi des seniors a sensiblement augmenté et atteint l’objectif de 50 % que l’Union européenne avait fixé il y a 15 ans. En revanche, le nombre de chômeurs âgés a augmenté et compte désormais des personnes de 60 ans et plus. Une partie non négligeable des seniors passent par l’inactivité (certains sont en invalidité) avant de prendre leur retraite. Une partie des ruptures d’emploi sont liées à des situations d’inaptitude au travail.

En résumé, la majorité des futurs retraités est, à cette période de leur vie professionnelle, sans travail. La diversité et la nature des transitions vers la retraite sont donc préoccupantes et questionnent sur la possibilité de se maintenir en emploi et de retrouver un emploi tardivement.

Pour prolonger la vie au travail, les incitations à l’embauche, à la formation, à la négociation, à la poursuite de l’activité professionnelle ont bien sûr leur utilité, mais ne suffisent pas à maintenir les travailleurs âgés en activité.

Peut-on retarder la fin de la vie professionnelle sans s’interroger sur les conditions de travail en fin de carrière dans les entreprises ?

Force est de constater que cette question peine à trouver sa place dans les débats sur les départs en retraite ou même sur l’emploi des seniors. Un lien fort est donc à établir, dans le débat social et l’action publique, entre politique des retraites et politiques de l’emploi et du travail. Ce d’autant plus que les enquêtes sur les conditions de travail montrent que certaines caractéristiques connues pour être particulièrement pénalisantes pour les travailleurs vieillissants et sources d’usure professionnelle continuent leur progression dans les entreprises françaises. Nous pensons notamment au travail de nuit ou en horaires décalés, aux exigences physiques, au travail sous forte contraintes de temps et aux changements fréquents dans le travail.

Dans ce contexte, une proportion croissante de salariés en dernière partie de carrière va devoir « tenir au travail » pour obtenir une retraite à taux plein, tout en ayant une santé fragilisée. La question des conditions dans lesquelles il est possible de mettre en place des organisations du travail soutenable pour ces salariés tout en préservant la performance des entreprises se pose clairement. On voit bien la nécessité d’affirmer une politique du travail, volontariste et préventive, pour préserver et entretenir les capacités et les ressources des salariés.

Vous pouvez retrouver la totalité de cet entretien dans le numéro 77 de Retraite et société.

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