À l’occasion de son colloque de clôture les 12 et 13 juin prochains, retour sur quatre années de recherche dans le cadre de l’Étude longitudinale sur le vieillissement et les inégalités sociales (Elvis). Julie Rochut et Rémi Gallou, chercheurs à la Caisse nationale de l’Assurance retraite, font partie de l’équipe qui a piloté l’étude. Nous leur avons posé quelques questions.

Les thèmes retenus pour ces journées correspondent aux différents aspects des inégalités liées au vieillissement que nos recherches nous ont permis d’identifier et d’étudier. Il nous paraissait important qu’ils soient tous représentés, et que les chercheurs puissent partager leurs résultats. Ensuite, nous avons construit les deux tables rondes autour de ce qui constitue, à nos yeux, les deux originalités d’Elvis, à savoir l’étude des territoires d’une part, du numérique d’autre part, comme des ressources pour faire face aux inégalités.

Quand on parle d’inégalités au cours de la vieillesse, on pense à la santé, aux niveaux de vie, aux trajectoires professionnelles, à la famille et aux solidarités familiales… Mais on pense moins aux inégalités liées au numérique ou à l’endroit où l’on vit, qui sont pourtant bien réelles et sur lesquelles l’équipe a beaucoup travaillé. Le découpage en quatre unités thématiques [Parcours professionnels, niveaux de vie et santé ; Territoires, habitat et parcours résidentiels ; Parcours familiaux, entourage et solidarités ; Numérique, nouvelles technologies et vieillissement] s’est fait naturellement à partir de ce constat.

C’est ce que nous présenterons avec Sylvie Blasco, Vincent Caradec, Aline Chamahian, Sophie Colas et Ségolène Petite le vendredi après-midi [« Les inégalités dans les usages du numérique. Les pistes explorées dans Elvis » 14 h – 14 h 20]. Les bases de données quantitatives nous apportent beaucoup pour comprendre les déterminants des usages d’Internet. Mais il est parfois difficile de comprendre pourquoi certaines personnes sont utilisatrices ou non. Ce sont les corpus qualitatifs qui nous permettent alors de déchiffrer les comportements d’usage. Plusieurs des personnes avec lesquelles nous nous sommes entretenus ne veulent pas utiliser Internet, alors que leur parcours professionnel ou leurs liens familiaux le leur faciliterait. Il y a des personnes âgées qui pourraient utiliser le numérique, mais qui ne le font pas. Sur un plan plus global, les résultats montrent que le milieu social est plus déterminant que le genre (homme ou femme) dans l’utilisation des ressources numériques par les personnes âgées.

On avait déjà commencé à travailler sur le numérique avant Elvis, notamment avec l’étude INSer sur la dématérialisation des services publics. Avec le recul, on voit que certaines de nos préoccupations se sont déplacées. Dans l’ensemble, aujourd’hui, les opérateurs publics prennent en compte la nécessité de former ou d’être à l’écoute de toutes celles et ceux qui n’utilisent pas les outils numériques, qui n’ont pas ou ne savent pas se servir d’un ordinateur. Je dirais que depuis les premières questions que l’on se posait il y a six ou sept ans, on a fait un premier pas. Aujourd’hui, on trouve assez facilement des bornes ou des ateliers pour apporter une assistance aux personnes qui en ont besoin. Ce qu’Elvis nous montre en revanche, c’est qu’il y a quand même un « mouvement perpétuel » de la transformation numérique. Il y a cinq ou six ans, on était dans le « tout-numérique », la dématérialisation des démarches, maintenant, avec l’avènement de l’intelligence artificielle, d’autres craintes se font jour, qui transparaissent dans les entretiens. Les personnes âgées que l’on a rencontrées s’interrogent sur la confidentialité et l’utilisation de leurs données. Nous aborderons ces questions le vendredi après-midi, lors de la table ronde qui suivra les présentations et à laquelle participera notamment Daniel Agacinski, délégué général à la médiation du Défenseur des droits.

Il est difficile de faire une généralité parce qu’en vieillissant, ce ne sont pas les mêmes formes d’inégalités que l’on va retrouver. Si on parle d’inégalités de revenus, qui sont très importantes tout au long de la vie, parce qu’on consomme des biens, on achète, on a besoin de se loger, la famille s’agrandit, on veut se déplacer, etc., en vieillissant, on va rencontrer des problématiques qui s’articulent davantage autour des besoins de lien social, de relations familiales. On va regarder le contexte d’habitat, les questions de distance à la famille, de fréquences des relations, etc. Parce que c’est ce qui peut devenir déterminant pour continuer à vivre chez soi ou pas. Les dimensions des inégalités se recomposent. Même si l’on sait qu’il y a aussi des déterminants sociaux, le fait d’avoir accès à de la prévention, d’aller consulter des spécialistes, etc. devient de plus en plus polarisant.

Sur les sujets comme l’espérance de vie, les données sont relativement stables ; l’espérance de vie en bonne santé augmente un peu mais ce n’est pas très marqué. Sur d’autres inégalités observées, par exemple patrimoniales, les premiers travaux qu’on avait réalisés avec Guillaume Le Roux et Catherine Bonvalet sur la propriété au seuil de la retraite montrent que celle-ci a augmenté au cours des générations, mais elle tend à diminuer sur la fin de la période ; surtout, pour les personnes qui ont été ouvriers, leur probabilité d’être propriétaires au seuil de la retraite diminue sur les dernières générations. Mais les résultats d’Elvis montrent surtout que les inégalités se construisent tout au long de la vie. Les inégalités au cours du vieillissement sont vraiment le résultat de tout un parcours. Mais il y a les inégalités telles qu’on peut les mesurer avec nos enquêtes, et puis il y a les inégalités ressenties. Ce sont entre autres les travaux que mènent Rémi [Gallou] et Guillaume Le Roux sur la perception de l’accès aux territoires [« Accessibilité objective et subjective aux commerces et services des personnes âgées », 14 h 20 – 14 h 40, jeudi 12 juin]. Habite-t-on dans un territoire où les inégalités d’accès sont importantes ? Est-ce qu’on se trouve dans un territoire délaissé ou pas ? Comment vit-on dans différentes configurations territoriales ? Est-ce différent en fonction de l’entraide familiale ou pas ?

Le fait d’avoir considéré 3 générations est un apport important d’Elvis. Cela permet de garder toujours à l’esprit que les retraités ne constituent pas un ensemble homogène. Les différentes générations ont vécu des choses différentes au cours de leur vie, avec des opportunités différentes, en termes de politiques de logement ou d’accès à l’emploi par exemple, qui conditionnent en partie leur vieillissement. Et cela se retrouve des décennies plus tard. Il est donc très intéressant de regarder les trajectoires professionnelles, résidentielles, sociales, familiales de ces différentes générations pour apporter des éclairages plus précis et nuancés.

Propos recueillis par Christelle Dédédjian