À l’occasion de la parution de deux volumes de la revue Retraite et société sur le thème "Vieillir loin des métropoles" (vol. 92 et 93), Hervé Marchal, co-coordonnateur avec Jean-François Léger de ces numéros, nous en dit plus sur les personnes qui vieillissent au sein de territoires peu peuplés.

Les personnes vieillissant loin des métropoles ont-elles des profils particuliers ?
Disons qu’il y a des caractéristiques fortes, que l’on retrouve d’un article à l’autre, comme l’ancrage territorial et l’attachement à des identités territoriales. Avec Jean-François Léger, dans l’avant-propos, on va même jusqu’à parler d’un sentiment d’autochtonie s’agissant des vieilles femmes vivant dans les Alpes suisses (ndrl : Pauline Mesnard, Lorry Bruttin et Clothilde Palazzo-Crettol, « Vieillir dans les montagnes suisses : sociabilités et appartenances locales des vieilles femmes « du coin »).
Il y a aussi chez ces personnes une volonté de ne pas s’inscrire dans des schémas de vie qui sont décidés de l’extérieur. On le voit bien dans l’article d’Elsa Martin et Frédéric Balard [ndrl : « Habiter et vieillir en milieu rural : mise en perspective des projections des habitants âgés avec celle des institutions »] : les personnes veulent rester dans leurs réseaux de sociabilité et de solidarité, quand bien même elles seraient incitées par leur entourage à accepter, par exemple, un logement social dans le centre du bourg.
Mais on voit aussi l’inverse : des personnes très âgées qui ont des limitations fonctionnelles préfèrent partir, afin que l’on garde d’eux l’image de la personne qui a été active. Ce sont souvent des « figures locales » et les limitations fonctionnelles peuvent leur apparaître comme un déclassement social, une remise en question profonde de leur identité. En fait, quelle que soit la situation, les personnes âgées veulent qu’on respecte leur volonté. Elles semblent dire : « Avant de décider pour nous, écoutez-nous ! »
Vieillir loin des métropoles, c’est aussi vieillir à distance de commerces, de services, de soins. Cela n’est-il pas compliqué au quotidien ?
Angèle Brachet parle de ces personnes qui ne sont pas aussi mobiles qu’elles le souhaiteraient. Elle parle dans son article [ndrl : « Rapport au territoire des personnes vieillissant en espace peu dense : une analyse par la mobilité liée aux achats »]de ce qu’elle nomme « recentrement » : on ne va plus forcément dans les grandes métropoles. C’est-à-dire que les personnes âgées, même si elles avaient l’habitude d’aller très loin pour faire leurs courses dans un hypermarché, choisissent désormais de se « recentrer », aussi bien dans leurs modes de consommation que dans leurs relations.
Elles vont se saisir de l’offre de services de leur territoire, avec la volonté de consommer local et de solliciter le commerce de proximité, y compris le commerce ambulant, même si c’est un peu plus cher. Elles font le choix d’entretenir des sociabilités dans lesquelles elles ont une place. Et leurs mobilités s’inscrivent dans cette volonté de relocalisation.
Le lien aux autres, c’est l’expression intime du lien au lieu
Hervé Marchal
Le premier numéro aborde le lien au lieu, et ce que montrent les articles du second volume, c’est que le lien aux autres est aussi l’expression intime du lien au lieu. Cela pose aussi plusieurs questions : Comment fait-on pour avoir des liens si on a peu de voisins, quand les enfants sont partis ? Comment vit-on le départ des autres quand on est dans ce lien aux autres ? Comment continuer à nourrir un réseau relationnel de proximité ? Les articles que nous avons reçus ont permis d’aborder ces problématiques, de passer du lien au lieu au lien aux autres.
Doit-on changer notre regard ?
Disons qu’il ne faut pas plaquer le référentiel urbain sur le rural. On aurait tendance à penser qu’avec l’âge, les personnes iraient plus vers les villes compte tenu de l’accès aux services pour la santé. Mais les chiffres contredisent cette intuition. Les études présentées dans ces deux numéros montrent qu’en vieillissant, les personnes ont besoin de moins d’intensité mais de plus de liens qualitatifs.
Elles montrent aussi que la réflexion concernant l’endroit où l’on veut vieillir commence en général assez tôt. Jean-François Léger le rappelle dans l’éditorial du volume 2. Si les grandes villes concentrent davantage de personnes de la tranche d’âge 18-30 ans (70 % d’entre eux vivent dans des pôles urbains), dans les autres tranches d’âge, elles sont déficitaires par rapport aux petites villes et aux campagnes. Il parle aussi de là où les Français aimeraient vivre, et à plus de 60 %, c’est dans une petite ville, un bourg ou un lieu plus isolé. Par conséquent, il y a certainement des réflexions de fond à mener, notamment en matière de politiques publiques.
Pour en savoir plus
L’équipe éditoriale de la revue a organisé une journée d’étude « Vieillir loin des métropoles », le 10 avril 2025, à la Maison des Sciences de l’Homme de Dijon.